Qui n'a jamais connu cette impression d'étrangeté et d'incongruité totale lorsqu'au moment précis où nous devrions passer un merveilleux moment nous nous retrouvons pris dans une tempête émotionnelle inexplicable où se rejoue, encore une fois, un scénario terrible où chacun se met à douter de la relation.
Comment comprendre qu'alors même que nous sommes dans l'endroit dont nous avons rêvé, en train de prendre une pause tellement méritée, nous nous retrouvons face à face avec notre partenaire dans une immense solitude et un sentiment profond de désarroi vissé à la colonne vertébrale.
Qui ne s'est pas retrouvé le visage plongé dans les vagues en pleine nuit ? Qui n'a pas connu les longues marches au milieu de nulle part, les nuits blanches, les heures à attendre un retour, un mot et les larmes qui engorgent le cœur ?
On se dispute : l'amour semble s'être perdu quelque part. L'humeur sombre et triste, l'impression d'avoir perdu quelque chose de précieux nous mènent presqu'à penser qu'une source s'est tarie à jamais.
D'où viennent les conflits?
Sur le moment, ce sont toujours les mêmes phrases qui reviennent : c'est l'autre. Il ou elle fait toujours ci ou ça, rend les choses impossibles, recommence toujours les mêmes choses qui produisent les mêmes effets. Chacun regarde sa réaction en la trouvant tout à fait légitime et explicable, et c'est l'autre qui agace, énerve, l'autre qui ne change pas et n'apprend rien des échanges passés, comme d'un fait exprès.
Quand nous faisons un reproche à notre partenaire, nous identifions le bouton sur lequel il appuie : je suis émotionnelle (en colère, triste) parce que tu fais ceci. Nous savons tous identifier le bouton sur lequel il appuie, ça à priori, c'est le point de départ de la dispute.
Ce qui nous intéresse pour tenter d'y voir plus clair, c'est la raison pour laquelle il y a une telle explosion. Car si c'est moi qui explose quand il fait ça, c'est bien que la charge (les munitions) sont chez moi... C'est Gabor Maté qui utilise cette métaphore : imaginez que dans un conflit l'un tient un poussoir relié à une charge d'explosifs qui se situe chez l'autre. Vous commencez à comprendre?
La quantité d'explosifs, leur nature, la manière dont ils éclatent : cela nous appartient.
Nous aimons cette métaphore car elle illustre bien la dimension corporelle de l'état émotionnel : il se déclenche d'un coup et la décharge est nette. Il se passe quelque chose qui nous dépasse. Et si ça nous dépasse, c'est bien que l'on se situe dans la dimension inconsciente. Si le bouton est au présent, la charge appartient au passé. Ce qui remonte, est bien plus immense, bien plus enfoui que le simple évènement.
D'ailleurs, ne trouve-t-on pas souvent ridicule la raison pour laquelle une dispute a commencé ? Le déclencheur est quasi toujours disproportionné. "Elle est arrivée en retard", "il ne range jamais son linge dans le panier", "elle a oublié d'acheter des fruits", "il a regardé cette fille..."
Une dimension inconsciente
Donc vous l'aurez compris, les conflits viennent de plus loin, et quand on est émotionnel, c'est notre passé qui remonte. Imaginez qu'à l'occasion d'un retard de 5 minutes, se déclenche chez l'autre le rappel de ne pas avoir pu compter sur la parole d'un père ou d'une mère sensé tenir une promesse. Et tout derrière, le sentiment traumatique de ne pas être assez bien pour mériter de l'attention et de l'amour. S'est développé, pour se protéger, l'habitude de se fermer à l'autre et de se débrouiller tout seul, de ne plus rien attendre, de ne plus faire confiance. Et donc à ce moment-là : il y a fermeture au dialogue, c'est trop fort. On se retrouve dépassé. Sans mise à jour de cette dimension inconsciente, les partenaires s'enfoncent, perdus dans une zone aveugle.
Et rester dans une zone aveugle, revenir sur les mêmes disputes, encore et encore : ça abime la relation. Souvent, nous recevons des couples qui s'éloignent au fil du temps à force de vivre ces moments acides. La confiance s'érode, l'impression de tourner en rond et la perte de confiance en l'autre déciment petit à petit leur joie.
Donc, concrètement : si vous êtes dans une impasse de communication, ne continuez pas à blâmer l'autre, ne vous enfoncez pas dans la noirceur, arrêtez et demandez de l'aide pour améliorer votre communication.
De l'importance d'un travail sur soi
Et c'est toujours comme ça me demande-t'on souvent? Vais-je inlassablement répéter encore et encore que mon papa-ci et ma maman-ça ? Ma place par-ci et mon trauma par-là ? Doit-on tous faire une thérapie pour vivre harmonieusement en couple ?
Ces questions sont tellement légitimes ! Souvent, les premiers moments de thérapie permettent des premières prises de conscience ou même sans un travail thérapeutique, nous avons la connaissance ou l'intuition de connaître suffisamment notre histoire. Et, ceci fait, sincèrement, on s'en arrêterait bien là.
Et pourtant, ce qui est propre aux relations humaines, c'est qu'elles vont sans cesse venir vérifier notre compréhension : tout savant que l'on est, on est pourtant jamais arrivé, jamais tranquille. Toujours en mouvement. Savoir et connaître c'est une chose. L'expérience en est une autre. C'est bel et bien dans l'inlassable de l'expérience que se trouve la vie. Et elle s'éprouve dans la réalité de nos existences sans arrêt.
Que ce soit en couple, en famille, au travail ou dans notre environnement social nous sommes sans cesse confronté à ces résurgences et susceptibles de mobiliser nos ressources pour nous construire à chaque fois plus consciemment.
L'exigence et le potentiel du couple
Ce qui distingue la relation de couple des autres relations, est assez magique : parce qu'on s'est choisi. On peut même dire que "nos inconscients se choisissent".
Cela signifierait que, sans le savoir, nous sommes attirés par les personnes qui vont justement faire résonner nos blessures. Et là, nous faisons référence à la théorie psychanalytique : ce sont Freud et Lacan, entre autres, qui ont abordé l'incidence des modèles parentaux sur la suite du développement de la personnalité.
Par la suite, nous citerons les travaux de Harville Hendrix et Helen Lakelly Hunt qui ont proposé une forme de thérapie de couple. Ils ont développé la notion d'IMAGO comme « l’image que nous construisons inconsciemment de notre partenaire. Celle-ci s’est construite en fonction de nos parents ou de ceux qui ont pris soin de nous dans notre enfance, de leurs traits de caractère et des interactions, plaisantes ou douloureuses, que nous avons eues avec eux. (...) Dans une relation de couple nous sommes attirés par la personne qui ressemble à cette image et estimons qu’elle va être en mesure de combler la faille. À partir de cette projection, nous développons attentes et exigences ».
Celui/celle que nous avons choisi se révèle donc être la personne la plus efficace pour réveiller nos blessures, mais également la plus qualifiée pour nous donner l'occasion de les panser. Pour autant que nous nous donnions la possibilité de voir en chaque dispute une occasion de regarder nos traumatismes de plus près, une pépite comme dirait Claude Parisot*.
Les polarités
Le choix de notre partenaires est aussi guidé par une recherche d'équilibre. Bizarrement, tous les couples s'accordent en général sur le fait que l'autre est souvent à l'opposé de nous sur bien des points. Florence Foresti nous fait bien rire lorsqu'elle constate, avec humour, combien ces traits de caractère de notre partenaire nous faisaient rêver au début sont ceux-là mêmes qui finissent par nous horripiler avec le temps!
Donc oui, étrangement, les opposés vont s'attirer : là où vous êtes structuré, l'autre vous paraîtra désordonné, là où vous êtes dépensier, l'autre vous paraîtra économe, là où vous êtes plutôt actif, l'autre vous semblera plutôt passif, là où vous êtes communicatif, l'autre vous semblera réservé... C'est ainsi!
A cet endroit une autre clé se situe dans l'art de reconnaître cette complémentarité plutôt que de concevoir de l'opposition. Vous êtes ensemble comme le Yin et le Yang : tel le signe du Tao. Si l'un est blanc et l'autre noir, cherchez donc la part de blanc dans le noir et la part de noir dans le blanc et regardez comment ces deux parts, une fois assemblées réalisent le symbole d'une parfaite unité.
L'expérience d'une vie en conscience
Concrètement, c'est un chemin de vie qui se dessine dès lors qu'on met de la conscience dans nos actes. L'approche bouddhique regorge d'enseignements profonds qui peuvent nous y éclairer. Philosophes, poètes, psychologues, thérapeutes, artistes et penseurs, tant de personnes ont partagé ce qu'ils ont compris des relations humaines que nous nous étonnons à chaque fois des mains tendues que nous trouvons sur notre trajet de couple.
Il est difficile de conclure sur un sujet aussi vaste que ce qui nous fait souffrir lorsque nous nous disputons et nous espérons avoir donné suffisamment de clés dans cet article pour vous permettre de regarder cet évènement avec plus de distance.
Avant de vous quitter, néanmoins, juste un petit conseil pour la route : si vous vous êtes disputés et que vous êtes envahis par de fortes émotions, bougez ! Nous ne le dirons jamais assez : lorsque les émotions ont pris le dessus à l'intérieur de notre corps, il faut faire quelque chose pour les en déloger. Alors buvez de l'eau, marchez, chantez, coupez du bois, dansez, boxez, ce que vous voulez mais bougez!
Et pour aller plus loin sur ces sujets, voici deux livres qui sont pour nous des références :
D. RICHARDSON, "Amour & Emotions", Ed. Almasta
C. PARISOT, "Ré-enchanter son couple", Ed. Eyrolles
Avec Coeur,
Anick & Olivier